Victoire d’étape au Conseil d’État contre le « choc des savoirs »

La lutte continue, ne lâchons rien !

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La ministre aime trier

Le mardi 12 novembre, Mme Genetet1, improbable ministre de l’Éducation nationale2, annonçait lors d’une conférence de presse un nouveau calendrier pour la mise en œuvre des mesures dites du « choc des savoirs ».

Au menu, l’annonce de création de postes de vie scolaire alors que le budget proposé par son gouvernement propose une baisse effective des moyens, une fuite en avant dans l’évaluationnite sans rime ni raison, le corsetage de la liberté pédagogique au travers de la labellisation de manuels, la transformation du DNB en passe pour avoir le droit de poursuivre des études au lycée, l’extension des groupes de niveaux aux élèves de Quatrième et de Troisième – sans changement d’horaire.

Bref, en haut lieu on fait semblant de croire à l’intérêt de trier les élèves, en affirmant que cela fait de « l’École de la République » « un rempart (…) solide contre les forces du déclinisme et des populismes »… tout en s’alignant sur des mesures très inspirées du programme pour l’Éducation du Rassemblement national, qui promeut, outre un autoritarisme violent d’une autre époque et l’embrigadement voire le « dressage » de la jeunesse, le tri des élèves et la discrimination sociale comme moteurs de l’École.

Séparatisme gouvernemental

Ce gouvernement et le précédent ont en effet montré tout leur intérêt pour la défense de l’École en soutenant le séparatisme scolaire des riches dans des établissements privés, en amputant de 700 millions d’euros le budget de l’Éducation nationale par décret en février dernier, et en prévoyant la suppression de 4 000 postes d’enseignant·e·s dans son projet de budget 2025… et en étendant massivement le tri social des élèves déjà engagé les années précédentes.

Plusieurs organisations syndicales, des fédérations de parents d’élèves et des parlementaires, ont déposé des recours devant le Conseil d’État contre la mise en place des groupes de niveaux3. Le Conseil d’État a rejeté en juin 2024 les référés, estimant qu’il n’y avait pas d’urgence à statuer, malgré le risque que des familles considèrent que le collège exerce une assignation inégalitaire contre leur enfant.

Depuis la rentrée de septembre 2024, d’ailleurs, ne serait-ce que dans des collèges de l’Académie, plusieurs familles se sont inquiétées que dès la Sixième leur enfant se retrouve dans un groupe faible avançant au rythme plus modéré de l’enseignement spécialisé, risquant ainsi de les priver d’une partie des apprentissages dont bénéficient leurs camarades d’autres groupes.

Heureusement, de nombreuses équipes pédagogiques dans tout le pays, avec souvent le soutien du Conseil d’administration de leur collège, ont eu la conscience et l’intelligence de refuser cette organisation discriminatoire et la constitution de groupes homogènes, pour leur préférer des groupes hétérogènes – une lutte au quotidien contre les inégalités scolaires : selon une enquête, la mobilisation des personnels a permis que dans 74,5 % des collèges, les groupes mis en place soient hétérogènes4.

Procédure au Conseil d’État

La procédure au Conseil d’État a suivi son cours, avec la présentation le mercredi 20 novembre des arguments retenus par le rapporteur public – son avis est suivi par le Conseil dans la grande majorité des cas. Le rapporteur public est favorable à l’annulation de l’article 4 de l’arrêté du 15 mars 2024 qui a mis en place en septembre 2024 ces fameux groupes en français et mathématiques pour les Sixième et Cinquième.

Si le rapporteur public considère que l’expression « groupes de besoin » est un « changement de vocable [qui] révèle tout au plus un changement de ministre », l’arrêté est cependant retoqué non pour le tri social des élèves et la stigmatisation qu’il génère, mais parce que le gouvernement aurait dû éditer un décret, et non un arrêté qui est inférieur dans la hiérarchie des normes juridiques et réglementaires. Ce simple vice de forme n’est cependant pas anodin, car il crée le risque d’une extension de « ce mode d’organisation à d’autres matières » et d’ainsi généraliser « l’organisation en groupes de besoins ».

Or cela contreviendrait au principe d’autonomie des établissements dans leur organisation pédagogique – c’est-à-dire au fait que l’organisation des enseignements est du ressort du Conseil d’administration des établissements – ce qu’ont mis en avant les collèges qui n’ont pas accepté de créer des groupes de niveau.

En avril 2024, l’Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire et ancien DGESCO5, M.Delahaye, avait déjà écrit que « les textes le disent sans ambiguïté, les établissements scolaires sont autonomes en matière d’organisation pédagogique »6 .7

Le « choc des savoirs » est donc fragile juridiquement, ce qui souligne l’illégitimité d’une réforme menée tambour battant, non seulement inspirée des pires travers idéologiques du mercantilisme et de l’extrême-droite, mais aussi préjudiciable à l’égalité entre élèves.

Le jugement définitif du Conseil d’État devrait intervenir dans quelques semaines. En attendant, le ministère communique, et persiste dans l’aberration et le mensonge.

Appel et tract de NORD LDC éducation Hauts-de-France

Alors que le gouvernement n’écoute pas la communauté éducative, l’analyse du rapporteur public vient compléter les nombreuses mobilisations des personnels et des familles contre cette modification idéologiquement contaminée de l’organisation scolaire jamais débattue au Parlement, et très largement rejetée par les enseignant·e·s. S’il suit l’avis du rapporteur public, le Conseil d’État sanctionnera un passage en force qui contrevient au principe de la démocratisation scolaire.

NORD Lutte de Classes éducation Académie de Lille appelle les personnels de l’Éducation nationale à poursuivre la lutte contre tous les aspects du « choc des savoirs », et à exiger à la base dans les établissements et par des mobilisations collectives la pérennisation des groupes hétérogènes, la réduction des effectifs de classe dans toutes les disciplines, la mise en place de temps de concertation inclus dans l’emploi du temps des collègues enseignant·e·s et de vie scolaire, et des moyens renforcés pour l’Éducation.

Pour une autre école, et une autre société !

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Sources :
Le RN veut « un big-bang de l’autorité à l’école dès la rentrée 2024 » (aefinfo.fr, 25/06/2024)
Acte II du choc des savoirs, pour l’avenir de notre école (education.gouv, 13/11/2024)
Le rapporteur public du Conseil d’État demande l’« annulation » des groupes de niveau au collège (publicsenat.fr, 19/11/2024)
« Choc des savoirs », le rapporteur public du Conseil d’État plaide pour l’annulation des groupes de niveau (humanite.fr, 20/11/2024)
« Choc des savoirs » au collège, le rapporteur public du Conseil d’Etat demande l’annulation des groupes de niveaux (liberation.fr, 20/11/2024)
Les groupes de niveaux dans le viseur du Conseil d’État (cafepedagogique.net, 21/11/2024)
Groupes de niveau, ce que le Conseil d’État dénonce (cafepedagogique.net, 22/11/2024)


  1. Voir sa fiche wikipedia et cet article de francetvinfo.fr. ↩︎
  2. Cette députée d’une circonscription des « français de l’étranger » a créé en 2009 une structure professionnelle de conseil aux employeurs/ses de personnel de maison pour des familles occidentales expatriées à Singapour, The H.E.L.P Agency. Sur le site de l’entreprise, elle donnait dans le cadre de son business néo-colonial des des conseils à teneur très essentialiste pour choisir son employée ou la contrôler plus étroitement. ↩︎
  3. Appelés « groupes de besoin » dans une pathétique tentative pour masquer qu’il s’agit effectivement de trier les élèves entre « forts », « moyens » et « faibles ». ↩︎
  4. https://cafepedagogique.net/2024/11/21/1-college-sur-4-a-mis-en-place-des-groupes-de-niveaux/ ↩︎
  5. Directeur général de l’Enseignement scolaire. ↩︎
  6. Dans une tribune sur le Café pédagogique, écrivait dans une tribune dans le Café pédagogique
    Groupes de niveau ou de besoin au collège : où est passée l’autonomie des établissements ? ↩︎
  7. « En qualité d’organe délibérant de l’établissement, le conseil d’administration, sur le rapport du chef d’établissement, exerce notamment les attributions suivantes : 1° Il fixe les principes de mise en œuvre de l’autonomie pédagogique et éducative dont disposent les établissements dans les domaines définis à l’article R 421-2 et, en particulier, les règles d’organisation de l’établissement ». L’organisation pédagogique relève de l’autonomie de l’établissement. Article R 421-20 du Code de l’éducation. ↩︎