Le droit de grève

Tous les personnels de l’Éducation nationale, comme d’un autre secteur, y compris les personnels non-titulaires (AED, enseignants contractuels, …) peuvent se mettre en grève. Il s’agit là d’un droit fondamental et constitutionnel.

Ce droit s’appuie sur le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Il est rappelé par l’article L.2511-1 du Code du travail. Les modalités pour la Fonction publique sont fixées par les articles L. 2512-1 à L. 2512-5 du Code du Travail, et précisées par le chapitre IV du Code de la Fonction publique ; pour les salarié-es de droit privé par l’article L.2521-1, les articles suivants présentant diverses modalités.

Dans la Fonction publique, le droit à faire grève est établi par l’existence d’un préavis de grève. Une structure syndicale dont les statuts sont déposés (un syndicat départemental ou académique, mais pas une section d’établissement, la plupart du temps, ou un·e adhérent·e) peut user du droit d’appeler à la grève et déposer un préavis de grève, auprès de l’autorité compétente (DSDEN, recteur·e) en principe au plus tard cinq jours francs à l’avance (article L. 15212-2 du Code du travail).

Si vous avez besoin d’un préavis de grève, informez-nous suffisamment à temps ; le préavis doit indiquer le lieu où il s’applique, les personnels concernés, la période couverte, les motifs de la grève. N’hésitez pas à vous informer auprès d’une ou plusieurs organisations syndicales. Plusieurs d’entre elles déposent des préavis de grève permettant de couvrir tout jour de la semaine, puisque de nombreuses revendications n’ont, à l’heure actuelle, toujours pas été satisfaites… Ces préavis courant ont pour but de couvrir les conflits locaux ou non qui peuvent surgir soudainement.

Cependant, n’oublions jamais que le droit de grève est un droit constitutionnel ! C’est un droit fondamental, et même si plusieurs gouvernements ont cherché à le limiter, c’est en contradiction avec la hiérarchie des normes juridiques, puisque la Constitution est au-dessus de toute loi ou décret. Ce droit fondamental est ainsi rappelé par l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Il est également mentionné dans l’article 6, paragraphe 4, de la Charte sociale européenne, qui évoque la possibilité de limitations, mais aussi dans l’article 11, paragraphe 2, de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui définit strictement ces limitations1.

Par conséquent, au-delà du cadre réglementaire, il y a la pratique sur le lieu de travail : un rapport de forces favorable se met en place dès que l’action est relativement collective, pour s’abstraire des délais et de la forme du préavis, voire du préavis, surtout en cas d’urgence ou d’une réaction légitime. L’Administration peut difficilement dans ces conditions aller à l’encontre de l’exercice d’un droit fondamental.

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Si dans d’autres branches professionnelles, un préavis peut fixer une ou quelques heures de grève, dans la Fonction publique, les grèves sont forcément d’une journée au moins. Il n’est donc pas possible de faire une heure de grève puis de reprendre son service ou tout du moins, les personnels qui auraient repris leur service seront toujours comptabilisés comme grévistes et l’intégralité de leur journée de salaire leur sera décomptée sur leur fiche de paie (Loi 77-826 du 22 juillet 1977, notion de « trentième indivisible »2).

Les retraits pour fait de grève sont calculés sur la base d’un trentième du salaire en moins par jour de grève (traitement, primes et indemnités, quant aux primes versées annuellement elles sont également incluses proportionnellement au nombre de jours de grèves.

Cependant, le prorata de calcul de la somme à retirer s’arrête là : les prestations sociales, avantages familiaux, remboursements sont exclus du calcul de retrait sur salaire (décisions du Conseil d’État du 11/07/73 et du 22/03/89).

Les sommes ne peuvent pas être prélevées en une seule fois en cas de grèves longues (articles L.3552-1 à L.3552-13 et R.3252-1 à R.3252-10 du Code du Travail) Les quotités ou parts du salaire saisissables sont proportionnels aux revenus et déterminent l’étalement des prélèvements (les seuils prennent aussi en compte les personnes à charge, voir article L.3552-2). Il existe une somme bancaire insaisissable dans tous les cas (voir article R.3252-2).

Dans le cas de grèves reconductibles, les jours décomptés vont théoriquement du premier au dernier jour de grève inclus. Les jours fériés, le samedi, le dimanche et les jours où l’on ne travaille pas sont également retirés (décision du conseil d’État du 7/07/78, arrêt Omont).

Dernier point, c’est le chef d’établissement ou l’inspecteur/trice de circonscription qui fait remonter le nombre de jours de grève au rectorat ou à la DSDEN. Il ou elle doit tenir ce décompte de manière claire et accessible par tou·te·s. En cas d’erreurs, ces chiffres sont contestables et in fine les jours de grève indûment comptés peuvent être remboursés avec un intérêt. Et ce n’est absolument pas aux collègues de faire remonter leur journée de grève !

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Disons-le d’emblée, cette obligation préalable ne concerne que les enseignant·e·s du premier degré, à l’exclusion de tout autre personnel y compris exerçant dans le premier degré. Ainsi, malgré certains documents du rectorat erronés qui circulent parfois encore dans les établissements, quoique le rectorat ait reconnu l’erreur en commission paritaire, les AESH n’ont pas à déclarer au préalable leur intention de faire grève.

Dans le cadre du service minimum d’accueil (SMA)3, les enseignant·e·s du premier degré doivent réglementairement déclarer au préalable leur intention de faire grève, sans qu’il s’agisse de la déclaration d’une intention ferme : la déclaration ne déclenche pas de retrait sur salaire, c’est seulement l’absence effective, on peut donc déclarer plusieurs jours d’emblée ! Même si finalement on en fait moins…

On peut envisager de déclarer un jour ou plusieurs, selon le contexte. Voici les modalités :

1. La déclaration préalable doit parvenir à la Direction départementale des service de l’Éducation nationale (ex-inspection d’académie), sous couvert de l’inspecteur/trice de circonscription, 48 heures avant au moins, en incluant dans ce délai un jour de classe (jour ouvré). Ex/ pour une grève le jeudi, la déclaration doit parvenir lundi soir au plus tard. Elle peut être envoyée par fax ou par courriel.

2. La déclaration indique le nom et le prénom, la date et l’heure à laquelle le ou la collègue entend se mettre en grève. Rien n’oblige à utiliser un modèle fourni par l’administration qui demanderait plus de renseignements que la simple déclaration individuelle. Le directeur n’a pas à faire de déclaration par école.

3. Tou·te·s les collègues en responsabilité d’une classe le jour de la grève doivent faire une déclaration préalable. Néanmoins, tou·te·s les collègues peuvent signaler leur intention de faire grève, sans que cela soit considéré comme un engagement de leur part. L’annonce d’un taux élevé d’intentions de participation à la grève peut ainsi être intéressante pour son effet d’entraînement éventuel.

4. Il faut toujours penser à conserver un double de la déclaration d’intention et/ou accusé d’émission du fax, en cas de contestation.

Bien utilisée dans le contexte d’une mobilisation, la démarche des déclarations préalables individuelles peut grandement compliquer la tâche de la hiérarchie, et donner ainsi plus d’impact à une grève. L’intérêt réside dans la nécessité pour l’administration d’attendre d’avoir reçu l’ensemble des déclarations avant de pouvoir effectuer le pourcentage d’intentions pour chaque école et de le transmettre aux mairies concernées. Pour ce faire, il est évidemment indispensable de ne pas renvoyer toutes les déclarations des collègues d’une même école dans une seule enveloppe.

NORD LDC éducation Académie de Lille s’oppose aux atteintes au droit de grève que constituent l’obligation de négociations préalables, la déclaration individuelle obligatoire d’intention de grève (48h à l’avance) et l’instauration du Service Minimum d’Accueil (SMA). Ces remises en cause du droit de grève des enseignant·e·s du premier degré est une étape de plus dans la limitation du droit de grève mise en œuvre par plusieurs groupes politiques plus soucieux de liberté du « business » que de libertés fondamentales – comme on l’a vu également dans le secteur ferroviaire. Cela préfigure une généralisation des limitations de ce droit fondamental à d’autres secteurs si on ne combat pas pied à pied la moindre limitation.

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Aucune limitation légale au droit de grève ne concerne les statuts de l’Éducation Nationale… officiellement ! Mais la déclaration préalable demandée aux enseignant-es du premier degré dans le cadre du SMA est selon nous un outil destiné à entraver un tant soit peu le droit de grève dans le premier degré. Pour les limitations plus classiques au droit de grève, seuls sont concernés les magistrats, la police, l’armée, la navigation aérienne, les CRS, les transmissions…

Cependant l’Ordonnance 59-147 du 7/01/59 et les articles R.2212-1 à R.2212-10 du Code de la Défense, permettent réquisition, mais celle-ci ne peut être envisagée qu’en « cas de menace sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale, ou sur une fraction de la population …les personnes, les biens et les services ». (art 5 et 6) Cette ordonnance de 1959 porte sur « l’organisation générale de la défense ». Pour réquisitionner, il faut un décret en conseil des ministres, chacun des ministres prononçant ensuite la réquisition par des arrêtés ministériels. De plus, les ordres de réquisitions (individuels ou collectifs émanent du préfet. Il paraît donc extrêmement difficile pour un gouvernement d’user de cette ordonnance pour casser légalement un mouvement de grève.

Il existe par contre une procédure de désignation uniquement jurisprudentielle, sans base légale et réglementaire, la jurisprudence de l’arrêt « Dehaene » du Conseil d’Etat, mais elle précède un arrêt qui a rappelé le caractère constitutionnel du droit de grève, et qui fait donc tomber l’applicabilité de cet arrêt.

Finalement les personnels qui peuvent relever de la procédure de désignation sont :

  • les fonctionnaires d’autorité : chefs de bureau (Arrêt conseil d’Etat du 10/06/1977) et les chefs d’établissement (circulaire du 13/05/67) ; les directeurs d’écoles ne sont pas des chefs d’établissements ;
  • le personnel de service et technique strictement indispensable au fonctionnement matériel des services.

Au total cette procédure de désignation ne peut être utilisée pour briser une grève des personnels.

En ce qui concerne les examens, la note de service du 9/03/1989 (BO n° 12 du 23/03/89) rappelle que la notation des élèves fait partie des obligations de service du personnel enseignant. L’enseignant gréviste ne peut donc pas noter : il est en grève de son service… A l’inverse, ceux qui font cours mais ne notent pas sont considérés comme grévistes « n’ayant pas exécuté tout ou partie des obligations de services qui s’attachent à [leur] fonction » (amendement Lamassourre, art 89 de la loi 87-558 du 30/07/1987 qui réintroduit la notion de « service non fait »).

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  1. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. ↩︎
  2. La loi n°77-826 du 22 juillet 1977 donne une définition assez large de l’absence de service fait : « Il n’y a pas de service fait : 1. Lorsque l’agent s’abstient d’effectuer tout ou partie de ses heures de service ; 2. Lorsque l’agent, bien qu’effectuant ses heures de service, n’exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s’attachent à sa fonction telles qu’elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l’autorité compétente. » L’application au service non fait ou au service mal fait de la règle dite du « trentième indivisible » ↩︎
  3. Loi 2008-790, Décret 2008-1246, articles L.133-2 à L.133-12 du Code de l’éducation ↩︎