Rien de neuf sous le soleil : la dégradation progressive – et consciemment recherchée par le gouvernement – des services publics, et en particulier de l’Éducation de la maternelle à l’université, se poursuit. Un panorama rapide ponctué de nos revendications.
Des suppressions de postes, encore et toujours
Toujours moins de moyens
Le gouvernement annonce la suppression de 3 000 postes de fonctionnaires, et celle d’un fonctionnaire sur trois en 2027 – le MEDEF réclame la suppression de 1,5 millions de postes. Or rien que dans l’Éducation nationale, on manque déjà de tout : enseignant·e·s, CPE et personnels de vie scolaire, Psy-EN, personnels administratifs et médico-sociaux, AESH, AED.
Si les postes d’enseignant·e·s disparaissent, ceux d’autres catégories de personnels restent plus qu’insuffisants. Ainsi on compte à peu près un·e Psy EN pour 1 500 élèves et un·e infirmier·ère pour 1 300 élèves, alors que la santé physique et psychologique des enfants et adolescents est de plus en plus préoccupante, aggravée par la crise du Covid. Pas mieux pour la médecine de prévention : le nombre de recommandations médicales d’adaptation de postes et services, lors des commissions, est inférieur aux besoins réels, et on ne compte que 77 médecins pour plus de 850 000 enseignant·e·s !
Encore plus de travail
Les personnels sont à bout : des classes de plus en plus chargées, une multiplication débridée des tâches, la pression systémique aux heures supplémentaires. Pourtant l’Éducation nationale verra disparaître à la rentrée, sous le prétexte fallacieux de baisse des effectifs, 470 postes dans le 1er degré ; un quart (127) dans l’académie de Lille (Rappelons que l’an passé 650 postes étaient supprimés, dont 250 dans l’académie), et 27 dans l’académie d’Amiens. Pour le 2nd degré ce seront 41 postes dans l’académie de Lille, et 59 pour celle d’Amiens. Seule la logique comptable prévaut,, car on ne voit pas le nombre de postes augmenter lorsque le nombre d’élèves est croissant. Un chiffre qui fait rêver : la moyenne du nombre d’élèves dans les classes du 1er degré de l’Union Européenne : 19 ! La France en est loin, avec un tiers des classes de maternelle à plus de 25 élèves, et dans bien des classes, beaucoup plus !
Contractuel·le·s et sous-traitant·e·s
C’est ainsi que pour pallier au manque de personnel par rapport aux besoins réels, les rectorats multiplient les recrutements de contractuel·le·s enseignant·e·s, en CDD de droit public, voir de droit privé (embauche à France Travail) ; et les collectivités territoriales font appel massivement à des entreprises privées pour parer à la pénurie, avec des conditions de travail et des salaires différenciés pour les collègues qui ont d’autres employeurs. C’est aussi ça, l’extension du marché à l’École.
Conséquence, les échanges professionnels, le travail en équipe, le suivi des missions, sont rendus bien plus difficiles à organiser, c’est la concurrence entre personnes et le développement accru de l’exploitation des travailleur·euse·s au sein du service public. Nombre de collègues agent·e·s subissent des conséquences physiques de l’intensité de leur travail (plus de 22 salles à nettoyer le soir, sous-effectif à la restauration scolaire… et donc nombre de TMS). A noter à ce sujet, une classe avec un grand effectif implique une salle plus longue à nettoyer.
Les collectivités territoriales profitent des départs à la retraite pour substituer peu à peu par la sous-traitance, mais les rectorats ont parfois du mal à trouver des remplaçant·e·s enseignant·e·s en raison des assèchements de budget public par les gouvernements successifs.
Les revendications de LDC éducation Hauts-de-France
- Réduction drastique du nombre d’élèves par classe
- Création de brigades de titulaires remplaçant·e·s pour tous les métiers avec des besoins criants – des postes de titulaires fonctionnaires de toute catégorie partout où il y a un besoin (d’État et territoriaux)
- Arrêt de la suppression de postes dans l’Éducation et dans toute la Fonction publique
- Une médecine professionnelle disposant de moyens corrélés au nombre de personnels, indépendante de la hiérarchie, agissant exclusivement pour préserver la santé des agent·e·s
Personnels de l’éducation, abeilles ouvrières en voie de disparition
Deviens privilégié·e, rejoins l’Éducation nationale
C’est bien connu, être prof c’est la panacée : un boulot peinard, des vacances en veux-tu en voilà, des salaires mirifiques, la sécurité d’emploi, bref, le rêve absolu ! On comprend mal pourquoi, au regard de ces avantages « de privilégiés », les jeunes ne se précipitent pas pour passer les concours ! Serait-ce que du rêve à la réalité du métier il existerait un gouffre abyssal ? C’est en tout cas ce qu’ont compris les presque 3000 candidat·e·s potentiel·le·s qui n’ont pas postulé aux concours du 2nd degré. Dans le 1er degré, s’il y a eu cette année une légère augmentation du nombre de candidat·e·s, elle est relative, car ce nombre a chuté de près de 40 % entre 2021 et 2025.
Les concours formant à l’enseignement ne sont pas les seuls à souffrir de désaffection. C’est également le cas pour le concours des Psy EN, pour lequel le nombre d’inscrit·e·s est en baisse continue depuis 2017 (en 2024 il y avait autant d’admissibles que de postes). C’est aussi le cas pour les médecins scolaires, où l’on compte moins de candidatures que de postes ouverts. Pour ce qui est des infirmier·ères scolaires, s’il y a toujours des candidat·es, il y a également de nombreux abandons parmi les stagiaires.
Les conséquences sont évidemment dramatiques : postes non pourvus (11,71 % du total en 2024), absence de remplaçant·e·s, augmentation du volume des heures supplémentaires, recours accru aux personnels contractuel·le·s corvéables à merci Dans le secondaire leur part, pour les enseignant·e·s, a doublé depuis 2008, et dans le primaire leur nombre a augmenté de 80 % entre 2015 et 2021).
Le manque de personnels pour suivre les élèves avec des difficultés particulières (infirmier·e·s, assistant·e·s sociales, AESH en suivi individualisé, psychologues, médecins) ajoute à la pénibilité face à de situations dégradées, dans un contexte d’effectifs pléthoriques, avec une jeunesse davantage en souffrance, et avec une hiérarchie qui pour son intérêt de carrière pousse à tout faire pour que les pénuries ne se voient pas, entraînent évidemment surcharge et épuisement au travail.
Salaires gelés, inflation, pouvoir d’achat en baisse
Plusieurs facteurs expliquent cette désaffection. Il y a d’abord la question salariale : les personnels sont mal payés, plus mal que leurs collègues de l’OCDE pour ce qui concerne les enseignant·e·s, et le plan annoncé ne va pas dans le sens d’une revalorisation, bien au contraire ! La seule « revalorisation » proposée est en fait un système de primes pour un travail supplémentaire – les PACTE en sont un exemple. Les profs ne touchent plus la GIPA (Garantie Individuelle du Pouvoir d’Achat) ; depuis quelques mois les congés maladie ne sont plus rémunérés à 100 % mais à 90 % du salaire (une catastrophe lorsque le congé maladie est long). Les infirmier·ère·s scolaires ont un salaire médian qui atteint tout juste 1 780€ mensuels en 2023. Un·e médecin scolaire gagne deux fois moins qu’un médecin en libéral.
Et l’on nous dit à présent que les salaires doivent être gelés, qu’il faut même supprimer des jours fériés ! Travaillez plus et gagnez moins ! « Tout le monde devra participer à l’effort » selon l’un des premiers ministres récents ; indécente déclaration qui feint d’être égalitaire, et que nos collègues les plus précaires et mal payé·e·s (AESH, contractuel·le·s…) apprécieront ! Quand le gouvernement octroie 211 milliards aux entreprises (estimation basse), qui pourront ainsi rémunérer grassement leurs actionnaires, sans contrôle, et qu’il est hors de question de taxer les plus riches et de leur arracher la moindre miette, c’est aux travailleur·se·s que l’on demande une fois de plus de serrer une ceinture déjà souvent bien étroite, sur fond d’inflation sans augmentation des salaires !
Des conditions de travail indignes
Le second facteur touche aux conditions de travail. Pour tous les personnels elles se dégradent. Les tâches sont de plus en plus lourdes et de plus en plus nombreuses. Des systèmes de management inspirés de l’entreprise incitent nombre de chef·fes d’établissement à faire pression sur les personnels, jusqu’à l’abus de pouvoir. Stress, solitude, dysfonctionnements, épuisement, agressions de la part d’élèves ou de parents d’élèves, sont à l’origine de graves atteintes à la santé (burn-out, dépressions, suicides).
Le manque de temps, avec une multiplication des tâches et une indemnisation insuffisante, ne sont sans doute pas pour rien, par exemple, de la difficulté de plus en plus grande à trouver des volontaires parmi les équipes pédagogiques pour être professeur·e principal·e. D’autre part les pressions sur les personnels ont des effets visibles sur l’angoisse d’aller travailler, le délitement des collectifs de travail et l’ambiance dans les écoles, services et établissements.
Selon l’OCDE l’attractivité d’une carrière repose en partie sur la reconnaissance sociale. Or, en fait de reconnaissance, les personnels sont trop souvent malmenés, menacés, harcelés, très rarement soutenus en cas de difficulté, voire « enfoncés » par leurs chef·fe·s, séides d’une administration qui fait peu de cas des travailleur·se·s.
Or seul·e·s 4 % des professeur·e·s français·e·s estiment être valorisé·e·s par la société, selon l’étude TALIS 2024. 60 % des enseignant·e·s de collège et 49 % des enseignant·e·s d’élémentaires – une baisse d’une vingtaine de points depuis 2008 – se disent satisfait·e·s de leur métier… à l’exception du salaire : c’est bien peu, et encore plus flagrant si on compare aux autres pays de l’OCDE.
Une perte de sens
Enfin, nombreux sont les personnels qui font état d’une perte de sens. C’est le cas notamment pour les enseignant·e·s, à force de modifications de programmes – jusqu’à l’absurde et l’inapplicable – de conditions de travail dégradées, trop d’élèves dans les classes, trop de tâches administratives ou de réunions inutiles, trop d’injonctions contradictoires ou d’attaques sur leur liberté pédagogique. Rien d’étonnant à ce que le nombre de démissions progresse et s’ajoute à la désaffection des jeunes pour le métier. Un rapport de la DEPP (Direction de l’Évaluation de la Prospective et de la Performance) les départs ont été multipliés par six entre 2008 et 2011 ; mais comme le signale un récent article du journal Médiapart, le ministère refuse de plus en plus de démissions, et 90 % des demandes de rupture conventionnelle. On est loin du « choc d’attractivité » pour le métier d’enseignant·e promis par Macron en 2023 !
L’étude de l’OCDE citée plus haut souligne une absence de mentorat entre collègues, et de temps pour des pratiques plus coopératives. Ce n’est pas nous qui dirons le contraire, nous le rappelons régulièrement sur les lieux de travail. Nous considérons que prévoir effectivement un temps de co-construction des progressions, de suivi pédagogique, d’échange de pratique, permet d’alléger la pression au travail, et a un grand intérêt pour les élèves. De même un temps de concertation devrait être prévu pour d’autres que les enseignant·e·s : il est souvent nécessaire de faire le point sur une situation ou une organisation entre collègues en-dehors de la hiérarchie, et le temps pour cela est difficile à trouver.
Les revendications de LDC éducation Hauts-de-France
- Revalorisation salariale pour tous les personnels, à commencer par les salaires les plus bas
- Suppression des jours de carence et retour à un remboursement à 100 % du CMO
- Amélioration des conditions de travail, en réduisant les effectifs des classes, le nombre de missions dans la semaine et le temps de travail
- Limiter la hiérarchie à un rôle de coordination, mettre fin aux pressions sur les personnels
- Un temps de service prévu pour la concertation
Pas assez de profs et de CPE ? Super Elisabeth a la solution
Encore une réforme de la formation initiale
Puisque les concours sont délaissés, qu’à cela ne tienne, il suffit de recruter autrement. Ainsi les futur·e·s enseignant·e·s ne seront plus recruté·e·s en possession d’un Master, mais à la fin de la Licence, puis deux ans de formation, pendant lesquels ils et elles devront officier dans des classes, à respectivement 33 % d’un temps plein en observation/pratique, et 50 % d’un temps plein en enseignement. Quant aux titulaires d’un master 2 MEEF, ils et elles seront stagiaires… à temps plein ! Les futur·e·s professeur·e·s des écoles auront droit à partir de 2028 à une licence particulière, la LPE (Licence Professorat des écoles). La rémunération offerte durant les deux années de stage s’échangera contre 4 années obligatoires de service.
Notons au passage que cette réforme, comme tant d’autres – les gouvernements successifs sous Macron nous ayant habitué·e·s aux 49.3 et autres dispositions autoritaires – a été décidée par le ministère d’Elisabeth Borne de manière précipitée, sans réelle préparation en amont du CSAMEN (Comité Social d’Administration du ministère de l’Éducation Nationale), puisque cela a été purement et simplement refusé par la ministre !
Former à enseigner ou à obéir ?
Premier écueil : le risque de voir les connaissances didactiques des futur·e·s enseignant·e·s s’amoindrir, parallèlement avec leur liberté pédagogique. Or pour bien enseigner, une excellente maîtrise de ce que l’on enseigne est nécessaire, ainsi qu’une grande liberté dans la manière dont on choisit de transmettre ses connaissances. Par cette réforme et le nouveau référentiel de formation, le ministère accentue une reprise en main sur l’organisation et le recrutement des formateurs, marquant ainsi une volonté forte de contrôler leur travail.
Le nouveau référentiel de formation tend à la fois à réduire les savoirs –ce qu’il faut « connaître » – et à imposer les méthodes à utiliser pour enseigner. Il s’agit d’être « efficace » ; on est loin d’une mission d’émancipation, laquelle nécessite une grande liberté pédagogique. Les programmes disciplinaires sont de plus en plus injonctifs – et parfois si peu adaptés qu’ils en deviennent vides ou impraticables – et les dispositifs de type « groupes de niveau » sont un frein à l’autonomie des équipes. Rappelons-le, un·e bon·ne enseignant·e, ce n’est pas un·e simple exécutant·e !
Bricolage coûteux sans moyens
Le second écueil est dans le coût de ce dispositif, puisque les stagiaires seront rémunéré·e·s. Il y a fort à craindre que les années de « serrage de ceinture » annoncées par le gouvernement n’incitent celui-ci, soit à baisser la rémunération, soit surtout à imposer davantage de travail aux stagiaires. La question des coûts concerne également les universités, sommées de créer – mais avec quels moyens ? – des modules complémentaires adossés aux licences existantes.
Pour conclure, cette réforme est un bricolage à la va-vite, sans moyen, très flou par bien des aspects. Pas évident qu’elle permette de rendre nos métiers plus attractifs, puisque le ministère reste aveugle et sourd sur les questions cruciales des conditions de travail et de salaire, éléments importants d’une revalorisation qui soit également sociale et symbolique.
L’étude TALIS 2024 de l’OCDE pointe le manque de formation initiale et une formation continue jugée peu utile, ce que nous constatons tous les jours d’ailleurs : le PAF (plan académique de formation) propose qui plus est de plus en plus de formations sur le temps de préparation, de correction, qui sont donc à faire à un autre moment si on va en stage, ou sur le temps personnel : cela va à l’encontre des textes sur le droit à la formation sur temps de travail !
Les revendications de LDC éducation Hauts-de-France
- L’abandon de cette réforme de la formation initiale, des discussions collectives impliquant les personnels pour une refonte
- Une formation continue sur temps de service, avec une brigade de remplacement prévoyant cette organisation
- La refonte du référentiel de formation dans le sens de l’autonomie des équipes
- Le respect de la liberté pédagogique
AESH : de PIAL en PAS, ou de pis en pis ?
Besoins particuliers sans l’avis de la MDPH
En mai 2025 l’Assemblée nationale adopte un texte sur le parcours inclusif, avec un amendement de dernière minute de la ministre de l’Éducation nationale, entérinant par 48 voix « pour » et 46 voix « contre » la création des PAS (Pôle d’Appui à la Scolarité). Contrairement aux PIAL, les PAS concernent tou·te·s les élèves « à besoins éducatifs particuliers », ce qui constitue une extension très grande du champ. Dans le cadre du PAS, dès lors qu’un·e élève montre des difficultés d’apprentissage, ses enseignant·e·s ou sa famille peuvent se passer de l’avis de la MDPH. C’est le PAS qui décidera si l’élève peut ou non bénéficier d’une aide. Ce dispositif favorisera les élèves des classes sociales les plus aisées, qui maîtrisent les codes et pourront négocier plus aisément avec les écoles et établissements.
AESH ? Une variable d’ajustement des difficultés de l’École
Le PAS n’est pas en faveur des personnels AESH, dont le contrat définit qu’ils et elles ont à s’occuper seulement des élèves en situation de handicap. Le projet prévoit en effet que les AESH pourront prendre en charge également les élèves « à besoins particuliers » dans l’attente de la notification de la MDPH. Leur périmètre d’intervention est également étendu puisqu’un PAS regroupe plusieurs PIAL ; qui dit extension du périmètre dit trajets supplémentaires, avec le coût que cela implique, quand le salaire moyen d’un·e AESH est de 912€ net mensuel.
En outre le PAS risque fort de demander aux AESH d’accompagner encore plus d’élèves, comme la « mutualisation » pousse déjà à le faire, avec des besoins encore plus diversifiés, ce qui supposerait une formation accrue. Mais là encore, derrière les discours lénifiants sur l’inclusion, la « prise en compte de la diversité » des élèves, il y a en réalité une réponse inadaptée aux besoins des élèves et l’exploitation de personnels mal considérés, mal rémunérés, mal formés. Il s’agit d’afficher un vernis d’inclusion, sans s’en donner les moyens, sans considérer les personnels affecté·e·s à cette mission difficile – et en élargissant de manière très floue les contours de ces missions.
Cerise sur le gâteau, un PAS, par l’entremise de son coordonnateur, peut prescrire un « premier accompagnement humain » exercé par un éducat-eur-rice spécialisé·e, un·e professeur·e spécialisé·e, un personnel des services sociaux et de santé, ou … un·e AED ! Adapter ses métiers aux besoins de ses usager·e·s, ce n’est plus le problème de l’Éducation nationale, mais plutôt, boucher les trous, communiquer, et pas de vague.
Les revendications de LDC éducation Hauts-de-France
- Un statut de fonctionnaire et une formation et une rémunération décentes pour les AESH
- Une embauche de personnels AESH à la hauteur des besoins
- La fin des « bricolages » des PIAL/PAS et la prise en compte effective de l’expertise des AESH à propos de l’accompagnement
- La reconstitution des RASED et des dispositifs d’accompagnement adapté
Leur « projeeeeeet ! » : détruire l’école publique au profit de l’école privée
Le privé aspire l’argent du public
Les scandales de Bétharram et autres établissements n’y changent rien, pas plus que la falsification d’un rapport par la numéro 2 du ministère : le gouvernement continue tant et plus à financer avec de l’argent public les établissements privés sous contrat, dont 97% sont catholiques. Alors que ces établissements bénéficient des frais d’inscription, de subventions publiques facultatives, ou parfois d’abattements fiscaux, ce sont chaque année plus de 11 milliards d’euros qui sont consacrés sur le budget du ministère à leur financement, tandis que l’école publique tire la langue, et que les personnels se battent pour enrayer la fuite des élèves dans le privé. Et les élèves qui fuient ne sont évidemment pas les plus défavorisé·e·s ! En somme, on donne plus à ceux qui ont déjà plus !
Au moins pourrait-on espérer que pour ce prix les contrôles réalisés sur les établissements sous contrat soient effectifs, fréquents et approfondis. Le rapport de la commission parlementaire des affaires culturelles et de l’éducation (2 avril 2024) conclut qu’ils sont « largement insuffisants au regard des enjeux que ceux-ci présentent en matière de finances publiques mais aussi s’agissant de la qualité d’enseignement ou du respect des valeurs de la République ». Elle estime aussi que les établissements privés ne remplissent pas leur contrat, participant peu ou prou à mettre en œuvre certaines politiques publiques.
Il est vrai que le système de protection du privé est verrouillé par des réseaux politiques, religieux et économiques puissants : c’est là que la haute bourgeoisie scolarise majoritairement sa progéniture, pour la séparer du « tout-venant ». Un système à au moins deux vitesses, car si Bétharram et autres lieux de pratiques scandaleuses sont protégés, il n’en est pas de même du privé non catholique, en particulier les établissements musulmans, comme en témoigne l’affaire du lycée Averroès de Lille. Pour LDC Hauts-de-France, la géométrie variable est inacceptable.
Quoi qu’il en soit, la situation de « marché scolaire », bien décrite par l’association belge APED, entraîne un séparatisme de classes, une explosion des inégalités scolaires, et une concentration des difficultés dans l’enseignement public. Les classements médiatiques d’établissements scolaires font la promotion d’une concurrence pourtant faussée par la non-prise en compte de l’existence de quasi-ghettos sociaux dans le logement, ou plus généralement le silence sur des conditions sociales très différentes à l’entrée dans les établissements. Les indicateurs académiques atténuent fortement les spécificités sociales locales, en « oubliant » le manque de places en SEGPA, ULIS et ITEP et pour justifier dans les académies de Lille et d’Amiens, entre autres, la politique de réduction des moyens prévus pour tenir compte de la diversité des élèves.
Tout cela pousse des familles à adhérer plus massivement qu’auparavant à comparer les établissements : les moyens comparativement plus élevés dans le privé crée une inégalité visible entre élèves, la fuite vers le privé concentre les problèmes dans le public, l’institution nie ceux-ci voire les accentue en consacrant moins de moyens qu’auparavant pour s’adapter à la situation, et cela accélère la dégradation du service public d’Éducation… un cercle vicieux très inégalitaire.
L’Université livrée au monde marchand
Dans la même veine, l’université est à son tour attaquée, par le projet de la loi Baptiste, « pour la régulation de l’enseignement supérieur privé ». Intégrées à Parcoursup, les formations privées concurrençaient déjà le public. Depuis quelques années, l’enseignement supérieur lucratif draine une part non négligeable (15%) des étudiant·e·s, et est bénéficiaire quasi exclusif de la manne des aides publiques à l’apprentissage (25 milliards d’argent public), qui les financent à 80%.
Prétendant réguler les abus des formations privées, souvent indigentes — pour ne pas dire de pures arnaques parfois — la loi pose plusieurs problèmes majeurs. Le premier concerne la collation des grades, c’est à dire la délivrance des diplômes nationaux, jusqu’ici apanage du public. D’autre part les universités publiques seraient financées sur la base de « contrats d’objectifs, de moyens et de performances », et 7 recteurs régionaux auraient le pouvoir d’ouvrir ou fermer des formations à leur gré, et de décider des budgets alloués pour chaque projet.
Ce système de contrats met fin à l’autonomie pédagogique et démocratique des universités ; ainsi ce que la LRU (Libertés et Responsabilités des Université) de Pécresse a initié en termes de contrôle, est renforcé par la loi Baptiste. Ce qui se dessine est une université à deux vitesses, l’une pour les plus favorisé·e·s dans les écoles de business afin de devenir des cadres, l’autre pour les plus démuni·e·s, destiné·e·es à rester des subalternes. Ainsi la marchandisation et la mise en coupe réglée, ainsi que l’accroissement de la professionnalisation, rompent avec la tradition d’un enseignement supérieur recherchant avant tout les savoirs et l’émancipation.
L’École, cible d’une extension généralisée du périmètre du commerce
Cette attaque permanente contre l’École publique et l’Université (conditions de travail comme moyens accordés) n’est pas une surprise. L’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS), un des accords fondateurs de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a toujours eu pour objectif la libéralisation et la privatisation de tous les services de tous les secteurs y compris la santé et l’éducation (seuls l’état civil, la banque centrale, la magistrature et la police, autrement dit les services régaliens ne sont pas concernés). Les services publics ne doivent pas représenter une concurrence « déloyale » aux marchés.
Analyser les politiques publiques menées, par exemple à l’hôpital et à l’Education Nationale, par les capitalistes qui nous gouvernent via le filtre de l’AGCS permet de mieux comprendre ce qui se dessine : on fait dysfonctionner les services publics pour pouvoir ensuite plus facilement rendre acceptable leur privatisation et les cadeaux faits au privé.
Les revendications de LDC éducation Hauts-de-France
- La disparition à terme de tout établissement confessionnel subventionné par l’argent public
- Tant que ces établissements existent : transparence totale sur les financements, rééquilibrage avec le financement des établissements publics, en tenant compte de toutes les sources de revenus (frais de scolarité, etc.), contrôle accru du respect des politiques publiques et des orientations affichées par le ministère (mixité, laïcité, éducation à la vie affective et sexuelle, etc.)
- La fin de la logique marchande de la maternelle à l’université
- La fin de Parcoursup et des moyens suffisants pour répondre à l’accroissement du nombre des étudiant·e·s
- Des universités libérées des logiques de concurrence et de rentabilité et le respect strict de la liberté académique
- Instaurer une rémunération maximale, pour empêcher les primes démesurées, et tendre vers l’égalité de rémunération de tous les personnels de l’ESR
- Supprimer le Crédit Impôt Recherche (6 milliards d’euros/an), les agences de financement type ANR, les « fonds d’innovation », et financer sans pression les recherches mise en œuvre par les enseignant·e·s chercheur·se·s
L’IA, une panacée ?
Résolution de problèmes assistée par ordinateur
On le clame et on l’acclame : l’Intelligence Artificielle va nous aider à résoudre les problèmes de travail trop intense pour les enseignant·e·s, car elle penserait mieux et plus vite qu’elles et eux, et permettre aux élèves d’acquérir connaissances et savoir-faire. Sauf qu’il ne s’agit en rien d’une véritable intelligence, et que la machine ne saurait établir de contact humain avec les élèves. Elle compile des données et en ressort du moyen, du banal, sans originalité, sans pensée en somme. A rebours de ce que nos collègues conçoivent et expérimentent quotidiennement. Les élèves, pas plus que les enseignant·e·s ne sont des machines qu’il faut gaver de données ! L’école doit être le lieu où l’on apprend à penser par soi-même, et donc à s’émanciper.
Bien sûr il est sans doute plus facile d’accepter les tâches de plus en plus lourdes qui nous incombent et d’utiliser l’IA pour y répondre. Ne vaudrait-il pas mieux lutter pour l’amélioration de nos conditions de travail, et de celles des élèves ? L’IA est une pseudo-solution, technique, à des problèmes politiques.
Miroir aux alouettes pédagogique
On sait quels ravages cognitifs les écrans provoquent chez les enfants et adolescent·e·s. Et l’on sait les mauvais usages qu’ils et elles font parfois d’internet, et maintenant de l’IA, laissant à ces fausses béquilles le soin de rédiger leurs devoirs à leur place.
Se pose également la question de l’éducation critique aux médias : les programmes dits d’intelligence artificielle ne sont rien de plus que des algorithmes conversationnels, qui ne citent pas leurs sources, et les compilent sans pertinence pédagogique. Ils introduisent un biais de présentation bien difficile à analyser et déconstruire. L’objectif émancipateur de l’École est ainsi menacé.
Comme le souligne le Collectif CoLINE, Collectif de Lutte contre l’Invasion Numérique de l’École, « nous vivons dans un monde où le numérique est partout, et oui il serait nécessaire que les enfants puissent recevoir une véritable éducation au numérique. Mais éduquer AU numérique n’est pas éduquer PAR le numérique. Or aujourd’hui c’est bien une éducation PAR le numérique qu’on développe ; l’éducation AU numérique est pour ainsi dire inexistante. Dans ces conditions, l’Éducation nationale renforce surtout la dépendance au numérique, produisant davantage des consommateurs captifs que des utilisateurs avisés, avec des opinions qui se forgent plus par les algorithmes que par la réflexion. Ou comment fabriquer une pensée standardisée. »
En promouvant l’IA, l’Éducation nationale appelle à détruire la planète
Les ravages sont aussi écologiques. L’IA consomme en effet des quantités colossales d’énergie pour son fonctionnement et le stockage des données dans les datacentres. Selon l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), 46% de l’empreinte carbone du numérique sont dus aux datacentres, et 11% de la consommation électrique française sont liés au numérique (équivaleent à la consommation électrique totale de l’île de France). Electricité principalement d’origine nucléaire en France, avec tout son lot de problèmes en bonus : problème de sûreté, de sécurité, absence de solution acceptable pour les déchets radioactifs qui s’accumulent, pollution radioactive des eaux par les effluents, réchauffement des cours d’eau et conséquences sur la faune et la flore, inadaptation des centrales au réchauffement climatique, absence d’indépendance concernant le combustible, gouffre financier, manque de transparence complet et déni de démocratie, etc. D’ici à 2026, l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) prévoit une hausse de 75% de la consommation dans le monde. L’empreinte carbone du numérique a doublé en deux ans à peine, alors que le réchauffement climatique s’accroît, avec son lot de catastrophes naturelles.
L’empreinte carbone des data centres s’explique aussi par leur consommation en eau dans les systèmes de refroidissement ; compte tenu de la tendance de plus en plus marquée à la sécheresse, devrons-nous dans un avenir proche choisir entre l’irrigation des cultures et le numérique ? En outre la fabrication et l’obsolescence des équipements sont une source de pollution supplémentaire. Elles demandent de grandes quantités de métaux rares, dont l’extraction intensive, principalement en Afrique, repose sur des procédés polluants.
L’ERED, une politique de remplacement… par l’IA
On manque de profs ? de remplaçant·e·s ? Qu’importe puisque la continuité pédagogique peut être assurée via le numérique. C’est ainsi que de l’Éducation nationale expérimente l’ERED (Equipe de Remplaçants pour l’Enseignement à Distance). En 2022 l’expérience était en cours dans l’académie de Nancy-Metz, et en 2023 dans celle de Lyon, puis celle de Grenoble, et en 2024 celle d’Aix-Marseille. Le dispositif prévoir que ces « profs numériques » disposeront de l’accès au centre de documentation et de leur propre équipement informatique (ordinateur portable, connexion 4G, etc). Quand on sait que dans nombre d’établissements on manque de matériel (ordinateurs, imprimantes, photocopieurs, et même photocopies !). En outre les cours seront dispensés dans des salles dédiées — les salles informatiques des lycées fonctionnent tellement bien, n’est-ce pas ? Faute de personnels compétents et disponibles…) ; et les élèves seront surveillé·e·s par un·e AED, dont ce n’est pas la mission.
Quand on veut discréditer les enseignant·e·s, on fait tout pour les épuiser, quitte à ce qu’ils et elles tombent malades, on les dépouille de leur liberté pédagogique, on les laisse en nombre insuffisant, puis on les accuse de fainéantise car ils et elles ne sont pas en capacité d’assurer tous les remplacements, et on propose des « solutions » digitales ; les ERED sont l’exemple même de ce que l’on veut faire des services publics : des plateformes numériques impersonnelles et déshumanisées.
Les revendications de LDC éducation Hauts-de-France
- Suppression du dispositif ERED, création de postes, et horaires de services permettant la continuité pédagogique
- Sobriété numérique la plus grande possible dans l’Éducation nationale, pour les enseignements comme pour les formations, qui doivent se faire en présentiel
- La préférence aux logiciels libres. La fin des contrats, d’achats de licence ou de conventions passées avec des fournisseurs qui pratiquent l’obsolescence programmée.
LDC éducation Hauts-de-France invite tous les personnels des écoles, établissements du second degré et de la formation, universités, à se réunir pour faire la synthèse des atteintes au service public sur leur lieu de travail, à interpeller collectivement la hiérarchie sur celles-ci, à défendre collectivement leurs droits, leurs métiers, leurs conditions de travail et leurs salaires.
A travers la destruction des services publics, le capitalisme détruit les êtres humains et l’environnement. Seule la lutte des travailleur·euse·s que nous sommes peut l’arrêter, par la construction collective des luttes, et par la grève !
Pour aller plus loin…
- AESH, signer la pétition
- AESH, synthèse (LDC HdF, 12/2024 – 06/2025)
- Collèges : craquage en cours, (LDC HdF, 09/2025)
- Conditions de travail : mémo RSST et mémo Réunions d’information syndicale
- Enquête TALIS 2024 de l’OCDE, résultats (10/2025, ang.) // selon les années (fr)
- Une formation des enseignant·e·s défaillante (Café pédagogique, 10/2025)
- Un métier méprisé et de plus en plus difficile (Café pédagogique, 10/2025)
- Nous ne sommes pas des dépenses superflues (IDÉES-ESR, 03/2024)
- Troubles musculo-squelettiques dans le secteur de l’Éducation, il faut agir (Comité syndical européen, 05/2022)
- Le gouvernement hait le service public, lutte de classes ! (LDC HdF, 11/2024)
- APED, Appel pour une École démocratique : skolo.org, c’est belge, c’est intéressant
- Collectif CoLINE, l’appel
- Éducation nationale pour tou·te·s ? Pas de rentrée pour les Jeunes des Bois-Blancs, (LDC HdF, 09/2025)
- « Pourquoi je n’utiliserai pas l’IA » (LDC HdF, En Débat, 07/2025)
- IA pas à dire, c’est pratique, (LDC Académie de Grenoble (10/2025)
- ERED, apprendre dans des classes sans professeur·e (LDC Académie de Grenoble, 08/2025)
- Exemples d’actions – Baisse de moyens, mobilisation (LDC HdF, 11/2024)